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Américain et professeur à Sciences Po, il obtient la nationalité française

Les cérémonies de naturalisation sont régulières à la sous-préfecture. Il est plus rare d’y rencontrer un Américain, professeur à Sciences Po. Interview.

 

À gauche, Nicholas Dungan, en train de recevoir officiellement la nationalité française. Photographe : Tristan Relet-Werkmeister

Jeudi 24 mai, aux environs de 15 h 30, la sous-préfète de Reims, Valérie Hatsch, appelle un certain Nicholas Dungan devant une trentaine de personnes, conviées pour marquer leur naturalisation. Dans la salle, personne ou presque ne sait qui il est, mais ce grand monsieur en costume contraste par son parcours exceptionnel et sa renommée internationale dans le monde politico-académique. Professeur à Sciences Po, directeur de recherche à l’Institut de relations internationales et stratégiques, cet Américain de naissance est tombé amoureux de la France, au point de sauter le pas et de devenir citoyen français.


L'Union : Vous avez été naturalisé français en début d’année, pourquoi êtes-vous devenu citoyen français ?

Nicholas Dungan : La France m’a beaucoup donné, j’ai fait mes études à Sciences Po, j’ai beaucoup d’amis français, je me sens intégré et assimilé, et j’ai envie de rester. C’est aussi une question de valeurs : les valeurs humanistes françaises sont très fortes. Ce sont celles des lumières, comme aime le rappeler Emmanuel Macron. Ailleurs, malheureusement, ces valeurs humanistes se perdent, y compris aux États-Unis.


U : Pour vous, quels autres avantages représente la nationalité française ?

ND : L’avantage d’acquérir la nationalité française c’est aussi celui d’acquérir la citoyenneté européenne. Je crois également beaucoup aux valeurs de l’Union européenne, de la diversité et de la fraternité.


U : À travers vos postes de président de fondation et de directeur de recherche, vous vous êtes imposé comme la référence académique en relations transatlantiques. Était-ce pour vous une finalité d’obtenir les nationalités de chacun des pays que vous étudiez ?

ND : Ce ne sont que certaines de mes activités, j’ai été pendant très longtemps banquier, notamment à la Société générale. Je ne m’attendais pas à devenir président de la Fondation franco-américaine, j’ignorais même son existence avant d’être nommé, ayant surtout vécu à Londres ! Néanmoins, cela m’a donné une nouvelle perspective sur la France et les États-Unis, j’ai été assez choqué de ce que j’ai vu : les États-Unis ont moins bien réussi à conserver leurs valeurs, qui étaient pourtant très proches des valeurs européennes actuelles. À partir de Reagan, ces valeurs se sont dégradées. On est aujourd’hui témoins, à la fois aux États-Unis et en Grande-Bretagne, de la diminution de la notion de l’intérêt général. La France a beaucoup mieux réussi à garder l’équilibre entre l’épanouissement individuel et l’intérêt général, même si aujourd’hui en France, des gens se plaignent et s’inquiètent que la société s’éparpille et s’individualise. Cependant, ces phénomènes ne sont pas propres à la France et sont véhiculés partout dans le monde par les réseaux sociaux. En revanche, on a vu un bel exemple des valeurs humanistes chez le monsieur malien, Mamoudou Gassama, qui a escaladé la façade d'un immeuble parisien pour sauver la vie d'un petit garçon ; et puis la façon dont il a été reçu à l'Elysée par Emmanuel Macron, à la fois très correcte et très chaleureuse, c'est aussi très français. La cérémonie de naturalisation avait ce même caractère : la République, fort digne, qui accueille chacune et chacun en les reconnaissant individuellement.


U : Quelles sont les activités de votre société CogitoPraxis Advisors ?

CogitoPraxis est un groupe d’indépendants, expérimentés dans différents domaines, qui sont rassemblés sous cette marque. Notre but est de conseiller les dirigeants et les futurs dirigeants sur leur positionnement stratégique. Ce modèle économique relève directement d’un cours que j’enseigne à Sciences Po, qui s’appelle « Stratégies de l’influence ».


U : Comment s’articule ce cours ?

ND : Il y a deux versants : d’abord la philosophie de l’influence (Aristote, De Gaulle, etc.) puis la mise en pratique de celle-ci (c’est-à-dire comment passer à la télévision, remplir une salle, user de l’influence en interne et en externe).


U : Vos cours connaissent une certaine popularité à Sciences Po, où les étudiants choisissent leurs enseignements sur la base du premier arrivé, premier servi, comment l’expliquez-vous ?

ND : La seule personne qui est assurée d’assister à mon cours c’est moi-même ! (rires)


U : Vous sentez-vous Français ou Américain ?

ND : Oui ! Les deux ! Pas l'un ou l'autre mais les deux à la fois. Mon grand-père maternel était officier dans la Marine américaine pendant la Première Guerre mondiale puis est devenu juge. Mon père était bombardier-pilote de chasse dans les Marines pendant la Deuxième Guerre mondiale, dans le Pacifique, avant de devenir avocat. Je ne les abandonne pas. Pourtant, comme je l'ai expliqué, les États-Unis ont changé de valeurs depuis que j'y ai grandi, alors que la France est, selon moi, une expression plus fidèle de ces valeurs. Entre l'aspect Far West de Trump et le côté européen de l'Amérique, j'ai clairement fait mon choix.


U : Votre prochain livre, intitulé « Why France matters » (littéralement « Pourquoi la France compte ») s’annonce comme un éloge de l’hexagone, pourquoi défendez-vous ce pays ?

ND : C’était originellement une défense de la France contre le French bashing (le dénigrement de la France), c’est devenu une analyse qui jauge les atouts de la France. Je parlerai notamment de la manière dont les multiples atouts de la France font d'elle l'un des rares pays « complets » au monde et comment ces atouts se renforcent mutuellement. Cela inclut la culture et l'histoire, la France comme pays hautement organisé, les forces industrielles et commerciales des entreprises françaises dans des domaines clefs du XXIe siècle mais aussi la façon dont la France fait face à ses défis socio-économiques, enfin la place unique, et uniquement estimée, qu'occupe la France dans le monde. Il faut rénover la France plutôt que la préserver pour qu’elle reste importante. Les Français considèrent trop souvent que la France doit les porter plutôt que l'inverse. Pour que la France continue à « compter » il est vital que les Français se rendent compte combien la France est unique et précieuse et vaut bien leur effort pour qu'elle le reste !


Article publié dans l'Union, en print et web.

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